samedi 20 septembre 2014

Le bilan de la rentrée littéraire : Gros temps sur un océan de livres.

On peut d'ores et déjà dresser un premier bilan de cette riche rentrée littéraire, riche en pépites, riche en nombre d'ouvrages et riche en... rebondissements. 

La rentrée n'a pas été calme. Loin de là. Comme un océan par gros temps.
Imaginez plus de 600 voiliers, prêts à en découdre comme pour la Route du Rhum ou le Vendée Globe, certains rêvant même d'un record improbable (en nombre de ventes) et qui transporteraient donc des écrivains "officiels", des figures rassurantes du "milieu", tous sponsorisés par leurs marques, pardon, par leurs éditeurs.

Imaginez des gros paquebots, les croisiéristes, qui transportent à leur bord les journalistes, les médias, les bloggers littéraires, les réseaux sociaux, les internautes influents. https://www.actualitte.com/tribunes/et-si-la-rentree-litteraire-se-trompait-d-auteurs-2226.htm

Et donc, me direz-vous ?

Au milieu de l'océan vous ajoutez des inconnus (combien sont-ils ?) sur des planches à voile, certains plus modernes en kite-surf, pour la plupart qui ne savent pas nager, d'autres si et qui rêvent de naviguer vers l'autre côté, croyant naïvement que le vent les poussera vers un monde meilleur. Il y a ceux qui ne croient rien et qui font juste de la planche à voile pour le plaisir du vent, des courants marins, de l'air iodé, des embruns dans la figure, des dauphins qu'ils vont croiser. Ce sont les auteurs auto-édités, mes fameuses fourmis, vous vous rappelez : les artisans de l'écriture (vous pouvez lire cet article sur mon blog pour mémoire ici https://www.blogger.com/blogger.g?blogID=1822909192517900113#editor/target=post;postID=6209926692764923355;onPublishedMenu=allposts;onClosedMenu=allposts;postNum=21;src=postname).

Et maintenant vous rajoutez sur cet océan le gros temps, avec un gros coup de vent (Echelle de Beaufort, force 8 :Tourbillons d'écumes à la crête des lames, trainées d'écume). 

Les paquebots de croisières médiatiques s'en sortiront, la masse puissante et les équipements leur assurent la stabilité sur l'eau. Les communications sont même pas coupées, l'info file à toute vitesse. C'est à qui aura le dernier et surtout le bon mot.

Les voiliers de course, que ce soit les plus technologiques, les plus recherchés, ou même les plus bling-bling (ceux qui ont emporté du champagne à bord et une copine, au lieu des boites de sardines), s'en sortent.

Prudemment, on a réduit la voilure, on observe les autres concurrents. On est quand même plus de 600 au départ dans cette course aux livres. On lève les yeux sur sa grand voile : pas de problème notre éditeur nous lâchera pas. 

Tiens untel à eu carrément un courrier d'éloges pour le concurrent "l'oubli" et pas par n'importe qui. "Injuste !" dira un autre surtout c'est une jeune débutante, en plus sa première course !

Et puis arrive un voilier pas très neuf avec à son bord tout un lot de gros maux, il y en a un sacré paquet parce que la ligne de flottaison du voilier est bizarre, encore un peu la ligne de vie et les filières seront dans l'eau. Mais le bateau s'enfonce légèrement, pas trop quand même. On sent qu'il veut en découdre aussi. Il était même pas inscrit au départ avec les autres. Le pire c'est qu'il avance le bougre. La navigatrice a balancé toutes les voiles dehors. Pas question de réduire la voilure (et de prendre un ris comme les autres), même si on avance vers le gros temps. Tiens, elle dépasse tous les autres concurrents.

Les paquebots ne voient plus qu'elle. Son embarcation n'est pas la plus crédible, mais tout le monde veut suivre sa course, mais sans l'avouer (principe bien français : on dénigre la télé réalité, le président français, les torchons... mais nous on est au dessus de tout ça : nous n'avons JAMAIS regardé de télé réalité, JAMAIS voté pour ce Président, JAMAIS lu tel livre). Tiens il semblerait que ce sont les non-initiés de la voile qui s'intéresseraient à elle plutôt qu'aux autres participants... Comment savoir ?


Bref, pendant ce temps elle a distancé les autres. 

Tiens, un critique fait un papier, va-t-il donner leur chance aux autres concurrents des belles lettres ? No. Il n'a d'yeux sur l'eau que pour les 203 voiliers étrangers. Pas de chance. On cherche le voilier de l'ex fiancée mais il est déjà loin. http://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/eric-naulleau-ma-rentree-litteraire-2-17-09-2014-1863993_1913.php


La tempête est là, trop tard, on l'avait pas vu venir. Tout le monde s'observe. On est tous secoués. On va attendre que ça passe. Les voiliers finiront la course eux aussi. Ils mettront du temps, quand tout le monde cessera de regarder le rafiot qui a tout raflé et s'intéressera de nouveaux aux autres concurrents...

Quant aux amateurs des planches à voile, les auteurs auto-édités : voir passer les lumières des paquebots au loin, ne pas pouvoir demander de l'aide et leur dire qu'on existe, c'est idiot. On va moins vite que les voiliers mais cela ne veut pas dire que notre course n'est pas intéressante à suivre. On a fait tout ce qu'on a pu : on avait une belle planche, une belle voilure, des muscles d'acier dans les bras, de la force dans nos jambes, un mental d'enfer près pour le froid et les vagues dans la gueule. Mais tout le monde est passé là-bas, à plusieurs dizaines de milles, et nous on est restés comme des cons, malmenés par le vent et les vagues comme les autres, minuscules gouttes infimes dans l'océan.  

Je me positionne comme lectrice et spectatrice en cette rentrée littéraire, j'avoue que je ne sais pas quel voilier suivre dans cet univers que j'affectionne beaucoup. Je n'ai pas envie de Champagne, je n'ai pas envie de maux. J'ai envie de mots. L'écriture est mon refuge et la lecture mon évasion. Je veux... rêver. Alors je sais que dans mes prochaines découvertes littéraires, j'aurais sûrement un ou plusieurs bateaux de retard, j'aime voyager en dénichant un vieux roman d'il y a six mois ou 5 ans. Parce que les livres sont intemporels, on aura beau nous imposer des "dates" de période de parution propices à la sortie de nos livres, le lecteur fait comme il veut en fait. Et généralement en cas de gros temps, il ne s'aventure pas, il attend. J'attends de rêver.

 



mardi 9 septembre 2014

Arthur Schopenhauer et "La condition essentielle du bonheur"

"La condition première et la plus essentielle pour le bonheur de la vie, c'est ce que nous sommes, c'est notre personnalité. [...] Tout ce que nous pouvons faire [...], c'est d'employer notre personnalité, telle qu'elle nous a été donnée, à notre plus grand profit ; par suite, ne poursuivre que les aspirations qui lui correspondent, ne rechercher que le développement qui lui est approprié en évitant tout autre, ne choisir, par conséquent, que l'état, l'occupation, le genre de vie qui lui conviennent.

Un homme herculéen, doué d'une force musculaire extraordinaire, astreint par des circonstances extérieures à s'adonner à une occupation sédentaire, à un travail manuel, méticuleux et pénible, ou bien encore à l'étude et à des travaux de tête, occupations réclamant des forces toutes différentes, non développées chez lui et laissant précisément sans emploi les forces pour lesquelles il se distingue, un tel homme se sentira malheureux toute sa vie ; bien plus malheureux encore sera celui chez lequel les forces intellectuelles l'emportent de beaucoup et qui est obligé des les laisser sans développement et sans emploi pour s'occuper d'une affaire vulgaire qui n'en réclame pas, ou bien encore et surtout d'un travail corporel pour lequel sa force physique n'est pas suffisante.

Ici toutefois, principalement pendant la jeunesse, il faut éviter l'écueil de la présomption et ne pas s'attribuer un excès de force que l'on n'a pas. De la prépondérance bien établie de notre première catégorie sur les deux autres, il résulte encore qu'il est plus sage de travailler à conserver sa santé et à développer ses facultés qu'à acquérir des richesses, ce qu'il ne faut pas interpréter en ce sens qu'il faille négliger l'acquisition du nécessaire et du convenable.
Mais la richesse proprement dite, c'est à dire un grand superflu, contribue peu à notre bonheur [...] ; aussi beaucoup de riches se sentent-ils malheureux, parce qu'ils sont dépourvus de culture réelle de l'esprit, de connaissances et, par suite, de tout intérêt objectif qui pourrait les rendre aptes à une occupation intellectuelle. Car ce que la richesse peut fournir au-delà de la satisfaction des besoins réels et naturels a une minime influence sur notre véritable bien-être ; celui-ci est plutôt troublé par les nombreux et inévitables soucis qu'amène après soi la conservation d'une grande fortune. Cependant les hommes sont mille fois plus occupés à acquérir la richesse que la culture intellectuelle, quoique certainement ce qu'on est contribue bien plus à notre bonheur que ce qu'on a. [...]

Ainsi, l'essentiel pour le bonheur de la vie, c'est ce que l'on a en soi-même. [...]

Arthur Schopenhauer

(Texte complet dans Aphorismes sur la sagesse dans la vie, II.)

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Arthur Schopenhauer (1788-1860) professa sans succès à Berlin, vers 1820, et renonça, faute d'auditeurs (il parlait devant une salle presque vide) à l'enseignement. Si son ouvrage principal "le monde comme volonté et représentation" (1818) n'eut aucun succès, de même que "les deux problèmes fondamentaux de l'éthique" (1841), les Parerga et Paralipomena (1851) le rendirent célèbre du jour au lendemain. Les disciples accoururent à Francfort, Wagner lui dédicaça "l'anneau des Niebelungen". Schopenhauer mourut, en 1860, en pleine gloire.
Les influences : Platon et Kant, il reprendra la théorie de la connaissance avec la distinction du "phénomène" et de la "chose en soi". La doctrine de Schopenhauer dérive aussi de la pensée hindoue. Il fut l'adversaire déclaré de Hegel, "écrivailleur d'absurdité et détraqueur de cervelle", selon ses propres notes.

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Ce qui est étonnant à la lecture de ce texte (que vous pouvez lire intégralement avec d'autres textes de philosophes, qui donnent aussi à réfléchir, dans le livre "l'art du bonheur chez les philosophes" de Christophe Salaün), donc l'étonnant c'est la modernité de cette pensée. Plus de 150 ans ont passé, et les hommes sont exactement comme les décrivait Schopenhauer, bien plus occupés à vouloir faire leur fortune, qu'à s'élever intellectuellement... Alors que le bonheur est en soi. Mais qui s'en soucie encore ? Qui le sait ?